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Le 24 mars, Bassirou Diomaye Faye a été élu président du Sénégal dès le premier tour. Le processus électoral pacifique, bien que retardé, a démontré la force sous-jacente de la démocratie du pays. En élisant un jeune politicien (Faye a 44 ans) qui n’a aucune expérience de la fonction publique, les Sénégalais ont opté pour le changement plutôt que pour la continuité. Faye a recueilli 54,28 % des voix, établissant ainsi un mandat solide, bien qu’il ne dispose pas pour l’instant d’une majorité parlementaire lui permettant de mettre en œuvre son programme réformiste.
Faye hérite d’une économie qui a connu une croissance moyenne de 6 % au cours des quatre dernières années, grâce à un climat favorable aux affaires mis en place par son prédécesseur, Macky Sall. Le nouveau président devrait bénéficier d’une accélération de la croissance cette année, grâce à l’augmentation de la production de pétrole et de gaz. La nouvelle administration cherchera également à capitaliser le potentiel des secteurs de l’agriculture, des mines et de l’énergie, mais cela dépendra du maintien d’un climat favorable aux affaires.
À court terme, Faye devra faire face aux attentes élevées de la population, en particulier des jeunes, qui constituent sa principale base électorale. Tout échec dans la mise en œuvre des réformes promises entraînerait une désillusion populaire, une exacerbation des clivages sociopolitiques existantes et ferait le lit à de nouvelles manifestations antigouvernementales.
Un président qui a besoin d’une majorité parlementaire
Faye est le premier candidat de l’opposition à remporter une victoire présidentielle dès le premier tour au Sénégal. Il s’efforcera d’utiliser ce mandat pour mener à bien les réformes politiques et économiques prévues dans son Projet de transformation systémique du Sénégal, qui remplace le Plan Sénégal émergent (PSE) proposé par l’administration Sall. Le nouveau plan de développement s’articule autour de cinq piliers :
- La jeunesse, l’éducation, la formation, l’esprit d’entreprise et l’emploi pour les jeunes et les femmes
- La lutte contre la cherté de la vie et l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages
- La modernisation du système judiciaire, la protection des droits de l’homme, la bonne gouvernance, la transparence et la responsabilité, et les réformes électorales
- La promotion de la souveraineté et de la prospérité économique du pays
- Le renforcement de l’unité et la solidarité nationales et la préservation de la sécurité, la paix et la stabilité du pays.
C’est sur ces questions intérieures urgentes qu’il sera évalué à la fin de son premier mandat d’ici cinq ans.
Peu après son investiture, Faye a nommé Ousmane Sonko – un proche allié et l’architecte de sa victoire – au poste de premier ministre et l’a chargé de former un gouvernement. Le 5 avril, Sonko a annoncé une équipe de 25 ministres comprenant des technocrates, des officiers militaires et des cadres du parti. La moitié du cabinet (13) est issue du PASTEF, y compris certains des portefeuilles les plus stratégiques.
Faye a nommé Birame Souleye Diop au poste de ministre de l’énergie, du pétrole et du gaz, et des mines. Diop, ancien inspecteur des impôts, vice-président du PASTEF et leader de la coalition d’opposition Yewwi Askan Wi, sera à la tête d’un projet d’audit et de renégociation des contrats énergétiques et miniers. Cela arrive à un moment délicat, le pays étant sur le point d’entrer dans le club des nations productrices de pétrole. Un autre fidèle, Malick Ndiaye, s’est vu attribuer le portefeuille des infrastructures et des transports. Précédemment secrétaire à la communication du PASTEF, Ndiaye a été chargé de développer de nouveaux projets et de rénover les infrastructures existantes, tout en s’efforçant de renforcer la sécurité et la sûreté dans le secteur. Yassine Fall, diplomate expérimentée de l’ONU qui a rejoint le PASTEF en 2018, a été nommée ministre des Affaires étrangères. Elle est l’une des quatre femmes qui ont été nommées au gouvernement.
Les technocrates comprennent le ministre des finances et du budget Cheikh Diba et le ministre de l’économie Abdourrahmane Sarr, bien que ce dernier ait adopté une position virulente sur le franc CFA – une monnaie régionale soutenue par la France et largement critiquée par Sonko. Le président Faye n’a pas exclu la possibilité que le Sénégal abandonne la monnaie commune. En outre, Faye a nommé deux officiers militaires à la tête de portefeuilles clés : le général Jean-Baptiste Tine au ministère de la sécurité et le général Birame Diop à celui de la défense, les chargeant de protéger le Sénégal contre les militants islamistes implantés au Sahel.
Pendant ce temps, Faye a récompensé ses alliés électoraux issus de petites formations politiques en leur attribuant des portefeuilles, mais il a exclu des personnalités politiques majeures du gouvernement, notamment l’ancien Premier ministre Aminata Touré et l’allié de dernière minute Karim Wade, qui dirige le Parti démocratique sénégalais (PDS). Touré ou Wade auraient pu être des alliés clés pour Faye, qui tente de constituer une majorité parlementaire afin de faire passer son programme réformiste. À l’heure actuelle, cela est impossible, puisque le PASTEF et ses alliés ne disposent que de 56 sièges sur 165 à l’Assemblée nationale. Nous prévoyons que Faye dissoudra la législature une fois qu’elle aura dépassé le seuil des deux ans en juillet 2024, conformément à la constitution, ce qui déclencherait de nouvelles élections en septembre.
Une économie en plein essor
Faye hérite d’une économie performante. Le Sénégal reste la deuxième juridiction commerciale la plus dynamique de l’Afrique de l’Ouest francophone, après la Côte d’Ivoire. Selon le Fonds monétaire international (FMI), le pays pourrait atteindre une croissance du PIB de 8 % en 2024 et de 10 % en 2025, grâce aux recettes pétrolières et gazières. La dette publique reste gérable, bien qu’elle ait constamment augmenté au cours de la dernière décennie. Alors que le FMI estime que la charge de la dette du Sénégal est relativement élevée, à environ 76 % du PIB en 2024, le Fonds prévoit que la dette publique passera sous la barre des 70 % du PIB en 2025 grâce à une forte croissance.
Ces perspectives sont étayées par le démarrage de la production de pétrole sur deux projets clés. Le champ Sangomar de Woodside devrait produire 100 000 à 120 000 barils de pétrole et 130 millions de pieds cubes standard de gaz par jour lorsqu’il sera mis en service au troisième trimestre de cette année. Le projet transfrontalier Grand Tortue Ahmeyim de BP, qui chevauche la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie, devrait produire 2,3 millions de tonnes de GNL par an au cours de la première phase, et devrait également entrer en production au quatrième trimestre. Ces projets devraient générer collectivement quelque 700 milliards de francs CFA (1 milliard de dollars) de recettes publiques par an.
La nouvelle administration accorde la priorité à d’autres secteurs tels que l’agriculture (9 %), l’exploitation minière (5 %) et les énergies renouvelables. Faye s’est engagé à allouer 10 % du budget du gouvernement pour le renforcement des capacités du ministère de l’agriculture et à donner la priorité à la technologie et à la recherche scientifique pour développer le secteur au cours des cinq prochaines années. Le ministre de l’énergie, du pétrole, du gaz et des mines, Birame Souleye Diop, doit encore dévoiler sa feuille de route pour attirer davantage d’investisseurs dans le secteur, mais cela représentera un défi majeur à un moment où le Sénégal réexamine les accords conclus par l’administration Sall, menacant la stabilité contractuelle.
L’obtention de financements pour les projets de développement dépendra également des liens que le nouveau gouvernement entretiendra avec les partenaires bilatéraux et multilatéraux. Juste après son investiture, Faye a rencontré le directeur de la SFI, Makhtar Diop, pour discuter de la manière dont la Banque mondiale pourrait soutenir la nouvelle administration dans des secteurs tels que l’agriculture, l’économie numérique et le logement. Néanmoins, dans son manifeste, Faye a clairement indiqué que son administration n’accepterait pas le principe de conditionalité des institutions financières internationales telles que le FMI et la Banque mondiale, indiquant que les prêts concessionnels devront être conformes aux réformes d’inspiration locale, plutôt qu’au consensus de Washington.
Doléances socio-économiques
La population attend beaucoup du nouveau gouvernement et Faye en est conscient. L’inflation reste un problème et a sapé le pouvoir d’achat des Sénégalais. Le taux d’inflation annuel du pays a augmenté à 3,3 % en mars 2024 – le plus élevé en six mois – contre 2,3 % le mois précédent. Alors que le gouvernement précédent avait introduit un plan d’allègement qui comprenait des subventions au loyer et à l’énergie et un plafonnement des prix sur les produits de base essentiels tels que l’huile végétale, le sucre et le riz, en 2023, il a subi la pression du FMI pour supprimer les subventions à l’énergie, qui ont consommé 4 % du PIB au cours de l’année précédente. Néanmoins, la marge de manœuvre pour intégrer de nouvelles subventions dans le budget est faible, car le Sénégal vise une réduction de son déficit budgétaire de 4,9 % en 2023 à 3,9 % du PIB, conformément à son programme du FMI.
La création d’emplois sera également essentielle si Faye veut conserver la loyauté de sa base politique pendant sa présidence. Bien que le taux de chômage au Sénégal soit passé de 22,9 % au troisième trimestre 2022 à 19,5 % au cours de la même période en 2023, le chômage emploi reste une question politique clé, en particulier pour les jeunes. Les messages de la campagne de Faye sur les réformes économiques et la lutte contre la corruption ont trouvé un fort écho auprès des jeunes électeurs, qui ont le sentiment d’avoir placé le président de 44 ans au pouvoir pour défendre leurs intérêts. Le taux de chômage des jeunes est plus élevé que celui de la population dans son ensemble : un tiers des jeunes sont sans emploi et des milliers d’entre eux risquent leur vie dans des voyages périlleux vers l’Europe à la recherche d’un avenir meilleur. Le gouvernement est encore en train d’élaborer un plan pour l’emploi des jeunes, mais dans son manifeste, Faye s’est engagé à donner la priorité à l’enseignement professionnel et à l’entrepreneuriat, et à adapter les programmes des universités publiques aux besoins économiques du pays.
Le soutien populaire dont bénéficie M. Faye lui confère un mandat solide pour gouverner. Néanmoins, il devra revoir ses ambitions à la baisse en l’absence de majorité parlementaire. Faye et Sonko devront adopter une approche moins radicale pour élargir leur coalition, en s’ouvrant à des partis tels que le PDS, afin d’obtenir la majorité dont ils ont besoin pour mettre en œuvre les réformes proposées. Si Faye et Sonko ne parviennent pas à modérer l’approche radicale du PASTEF, ils ne feront que bloquer la mise en œuvre de leur programme, tout en revigorant les opposants à la nouvelle administration. Si Faye échoue, une grande partie de la population – en particulier les jeunes – sera désillusionnée.