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Le crepuscule des partis dominants en Afrique de l’ouest
Le retour des coups d’État militaires en Afrique francophone au cours des quatre dernières années a entraîné au mieux un recul des partis dominants et au pire leur fragmentation.
Au Burkina Faso, au Mali et en Guinée, ces partis sont progressivement supplantés par un nouveau courant d’organisations politiques hybrides. Cette dynamique à terme reconfiguera le jeu politique dans ces États et pourrait entraver leur engagement avec les partenaires extérieurs – en particulier la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest et les gouvernements occidentaux toujours dans l’attente d’un retour rapide à des régimes civils. Indépendamment des promesses de rendre le pouvoir aux civils au cours de l’année à venir, les juntes militaires du Burkina Faso, du Mali et de la Guinée ont réussi à promouvoir un discours souverainiste et de changement qui trouve un écho favorable auprès d’une frange de la population.
Non au jeu partisan
Les principaux partis politiques qui ont dominé l’arène politique au Burkina Faso, au Mali et en Guinée au cours de la dernière décennie sont presque tous entrés en hibernation à la suite de la vague de coups d’État qui les a écartés du pouvoir. Les anciens partis au pouvoir dans ces trois pays – le Mouvement populaire pour le progrès (MPP) de l’ancien président burkinabé Roch Marc Kaboré (2016-22), le Rassemblement pour le Mali (RPM) d’Ibrahim Boubacar Keïta (2013-20) et le Rassemblement du peuple guinéen (RPG) d’Alpha Condé (2010-21) – n’ont pas été en mesure de contrebalancer le poids des dirigeants militaires.
Même dans les états où les partis politiques de l’opposition étaient capables de susciter un fort soutien populaire, les militaires ont utilisé la force pour neutraliser les leaders de ces derniers. Ainsi, Cellou Dalein Diallo, président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), le principal parti d’opposition du pays, a été contraint à l’exil après que la junte ait exhumé de vieux dossiers de corruption à son encontre. Pendant ce temps, une interdiction des manifestations politiques – ponctuée par des couvre-feux intermittents et des coupures d’Internet – a empêché les militants de l’UFDG de manifester contre les poursuites judiciaires de leur chef. Au Burkina Faso et au Mali, les dirigeants militaires ont eu recours à des mesures restrictives similaires à l’encontre des partis d’opposition afin de démobiliser leurs électorats.
Dès leur arrivée au pouvoir, les trois juntes militaires ont attribué les difficultés sociopolitiques de leurs pays à leurs prédécesseurs, s’employant à délégitimer les civils et à bannir le jeu politique partisan. Ainsi pour vaincre les insurgés islamistes, le président intérimaire burkinabé, le capitaine Ibrahim Traoré, et son homologue malien, le colonel Assimi Goïta, ont tous deux exigé l’unité nationale comme condition préalable. En revanche, en Guinée, où de tels risques sécuritaires ne peuvent être instrumentalisés, le général Mamadi Doumbouya a adopté une position dure à l’égard de l’ancienne classe politique, en lançant une campagne de lutte contre la corruption qui dans un premier temps a fait la promotion de la bonne gouvernance, avant de se révéler comme une chasse aux sorcières selon ses détracteurs. Doumbouya a également limité les activités des partis politiques et des organisations de la société civile, les cantonnant à leurs sièges tout en affirmant que ces mesures étaient destinées à promouvoir une transition harmonieuse et un retour à un régime civil. Toute tentative de dépolitisation de la société – comme les juntes semblent vouloir le faire – aura peu de chances de réussir compte tenu de la longue histoire de la mobilisation politique dans ces trois pays.
Les partis politiques dominants continueront à faire face à une multitude de défis pour se réinventer. Aucun des anciens partis présidentiels n’a pu conserver sa cohésion après les coups d’État qui ont fait chuté leurs dirigeants. La perte du pouvoir politique a également entraîné un assèchement de leurs ressources financières, même si les partis dominants estiment qu’ils pourraient rapidement reconstituer leurs réseaux s’ils étaient autorisés à reprendre leurs activités. Enfin, dans un contexte où l’insécurité a partiellement érodé l’intérêt des citoyens pour la politique électorale et où le populisme semble gagner du terrain, le retour des partis historiques sera difficile. Entre-temps, le vide laissé par l’ancienne classe a été comblé par de nouveaux dirigeants politiques et de la société civile ayant des liens beaucoup plus étroits avec les régimes militaires.
Base politique hybride
Les juntes se sont toutes appuyées sur des coalitions civilo-militaires pour gouverner. Même s’ils ont fait main basse sur les postes administratifs et politiques stratégiques, les militaires ont coopté des alliés civils. Ils ont recruté des technocrates dans les ministères – que ce soit des locaux, comme dans le cas du Burkina Faso et du Mali, ou de la diaspora en Guinée – et ont nommé des militants de la société civile et des figures périphériques de l’opposition dans les législatures de transition. Ces civils peuvent avoir une influence limitée sur la transition politique, mais ils reconnaissent probablement que les règles du jeu ont changé et formeront un groupe d’alliés fiables pour les dirigeants militaires dans toute compétition électorale post-transition.
Les juntes continueront probablement à recevoir le soutien d’un nouveau courant d’organisations de la société civile pour gouverner, bien qu’à des degrés divers. Au Mali et au Burkina Faso, les autorités se sont appuyées sur un réseau d’organisations anti-systèmes pour promouvoir leurs discours souverainistes et leurs nouveaux choix de politique étrangère. Ces groupes partagent les tendances autoritaires des élites militaires et refusent le débat contradictoire sur la conduite des affaires nationales. Alors qu’une partie de la classe politique a dénoncé les modes violents de mobilisation politique des activistes pro-junte, les autorités les ont qualifié de patriotiques, renforçant ainsi la crédibilité de ces derniers auprès d’une partie de la population. Au Mali, les autorités se sont appuyées sur des organisations pro-russes, telles que le Groupe des patriotes du Mali et Yerewolo Debout sur les remparts, pour promouvoir leur ralliement géopolitique à Moscou. En Guinée, Doumbouya a également nommé une poignée d’acteurs de la société civile au sein de l’organe législatif de transition tout en excluant les autres.
Les juntes sahéliennes continueront à s’appuyer sur divers groupes de soutien pour canaliser la mobilisation populaire de masse à court et à moyen terme. Cependant, il est peu probable que ces organisations soient pérennes au regard de leur faible degré d’institutionnalisation. Elles restent tributaires du clientélisme des régimes militaires et offrent moins de possibilités de participation politique à grande échelle. Ces groupes sont également largement dominés par la jeunesse urbaine désillusionnée par les administrations civiles précédentes et n’ont pas réussi à inclure les villageois dans leurs cercles de prise de décision – ce qui les rend non représentatifs des populations majoritairement rurales du Mali et du Burkina Faso. En outre, leur position anti-élitiste les a privés du soutien des échelons supérieurs de la société.
Reconfiguration politique ou renouvellement générationnel?
Il est trop tôt pour déterminer si les transitions en cours conduiront à l’émergence d’une nouvelle génération de responsables politiques. Certaines des figures de proue qui ont dominé la politique au Burkina Faso, au Mali et en Guinée depuis les années 1990 pourraient être contraintes de prendre leur retraite, étant donné l’ampleur de l’aspiration populaire au changement. Néanmoins, le renouvellement générationnel est un processus de longue haleine et ne peut se faire aux dépens de l’ancienne classe dirigeante dont l’influence sociopolitique reste profondément ancrée.
En revanche, les transitions en cours vont probablement conduire à une nouvelle configuration politique dans ces trois États. Au lieu de s’appuyer sur des organisations de la société civile à bases restreintes, les dirigeants militaires du Burkina Faso, du Mali et de la Guinée poursuivront probablement leurs stratégies de cooptation tout en construisant des coalitions politiques et électorales afin d’élargir leurs bases politiques et de rechercher la légitimité dans les urnes. Toutefois, les partis et les mouvements politiques qui resteront en dehors de ces coalitions devront se réinventer pour survivre aux programmes populistes au cours de la prochaine décennie. Le MPP au Burkina Faso, le RPM au Mali et le RPG en Guinée devront eux aussi faire un examen de conscience et se réinventer au regard de l’héritage contrasté des présidents Kaboré, Keïta et Condé.