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L’immigration comme boussole de la politique africaine du nouveau premier ministre français
Dans un coup de théâtre rappelant certaines crises électorales africaines, Emmanuel Macron a nommé Michel Barnier, ancien négociateur de l’UE et vétéran de la politique française, au poste de Premier ministre, le 5 septembre dernier. À 73 ans, Barnier devient le chef de gouvernement le plus âgé de la Cinquième République, succédant à Gabriel Attal, 35 ans, qui était lui le plus jeune. Une nomination laissant un goût amer à ceux qui espéraient un renouvellement de la classe politique française. À l’heure où de jeunes dirigeants s’imposent – par les urnes ou par des coups d’État – en Afrique, ce contraste rend de plus en plus incertain l’espoir de voir la France repenser ses relations avec le continent.
Le choix de Barnier intervient dans un contexte d’instabilité politique en France. En juin 2024, le Rassemblement National de Marine Le Pen a remporté un tiers des sièges français au Parlement européen. Plutôt que d’attendre la fin de son second mandat, Macron a choisi de provoquer des élections législatives anticipées, dans l’espoir de rassembler les électeurs contre l’extrême droite. Mais son pari a échoué après des mois de sondages défavorables. Une coalition de gauche, le Nouveau Front populaire (NFP), a finalement remporté une majorité relative en juillet, sans pour autant réussir à former une coalition gouvernementale stable.
Barnier et l’immigration : un virage à droite sur l’Afrique
Après avoir consulté tous les acteurs politiques, Macron a défié le NFP en nommant Barnier, issu du parti gaulliste Les Républicains, qui n’a pourtant terminé qu’en cinquième position lors des élections. Connu à l’international pour son rôle de négociateur en chef du Brexit, Macron mise sans doute sur sa capacité à créer des ponts entre les différents partis pour former une majorité. Mais ses positions, loin de faire l’unanimité, tranchent sur des sujets de société comme l’avortement, les droits LGBTQ, ou encore l’immigration, sur laquelle il adopte une ligne dure.
Lors de sa tentative pour décrocher l’investiture des Républicains en 2021, Barnier avait proposé un moratoire sur l’immigration, une posture donnant un avant-goût de ce que pourra etre sa politique africaine. Durant son court passage au Quai d’Orsay (2004-2005), il avait déjà articulé une vision de l’aide au développement en Afrique axée sur la prévention de l’immigration vers l’Europe. Cette approche, aujourd’hui partagée par d’autres pays européens comme l’Italie avec son Plan Mattei ou le Danemark avec sa nouvelle stratégie pour l’Afrique, vise à répondre aux craintes populistes en Europe sur l’immigration.
Un autre dossier sur lequel Barnier devra s’adapter est celui du Sahara Occidental. Il a longtemps défendu la position traditionnelle de la France et de l’Europe, soutenant l’autonomie du territoire sous occupation marocaine en dépit des efforts de décolonisation de l’ONU. Cependant, Macron a récemment infléchi cette politique, ouvrant la voie à une reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental. Ce revirement – auquel Barnier ne s’opposera probablement pas – s’explique par le rôle stratégique du Maroc dans le contrôle des flux migratoires depuis l’Afrique de l’Ouest, le royaume affirmant avoir empêché 45 000 tentatives de passage clandestin depuis le début de l’année. ainsi que par l’échec des tentatives de réconciliation avec l’Algérie.
La gauche française désenchantée
Dans l’immédiat, Macron et Barnier devront surtout s’atteler à former un gouvernement et à affronter une opposition de gauche revigorée. Traditionnellement, le nouveau Premier ministre présente son programme politique devant le Parlement, suivi d’un vote de confiance. Même s’il ne s’y risque pas, Barnier ferait face au risque permanent d’une motion de censure si son gouvernement ne parvenait pas à satisfaire une majorité de députés d’horizons politiques variés Le NFP, en particulier son aile la plus radicale menée par Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise, reste un adversaire farouche. La coalition a qualifié la nomination de Barnier de « hold-up démocratique », estimant qu’un Premier ministre de gauche aurait dû être nommé, étant donné que le NFP a remporté le plus de sièges.
La France Insoumise critique de longue date ce qu’elle considère comme une relation « impérialiste » entre la France et ses anciennes colonies africaines, dénonçant les interventions militaires et les relations privilégiées entre les élites politiques de droite et les grandes entreprises françaises comme Bolloré ou Bouygues. Cette vision s’inscrit dans une tradition de gauche anti-impérialiste, qui appelle à mettre fin à l’influence que la France exerce encore sur ses anciennes colonies par l’économie ou le soutien militaire. La situation en Guinée, où la junte militaire tarde à organiser une transition politique et est visée par des accusations de disparitions forcées, a récemment cristallisé ces critiques, la gauche accusant Macron de complaisance vis-à-vis des dérives autoritaires de Conakry.
Mélenchon ne s’est pas contenté de discours : il a tissé des liens avec des leaders et des figures d’opposition africaines partageant ses convictions anti-impérialistes. Une alliance notable est celle formée avec l’opposant sénégalais Ousmane Sonko, devenu Premier Ministre. Tous deux, réputés pour leur rhétorique incendiaire et populiste, ont organisé une conférence conjointe en mai à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, dénonçant ensemble le « néocolonialisme » en Afrique.
Les contradictions sur les questions de société
Cependant, cette proximité entre la gauche française et ses homologues pan-africains trouve ses limites sur les questions de société, notamment l’opposition aux droits LGBTQ qui reste au cœur du programme sociétal du PASTEF de Sonko. Bien que Mélenchon ait affirmé ne pas vouloir imposer sa vision de la société en Afrique, il a défendu le mariage pour tous, s’attirant les huées du public sénégalais lors de la conférence de Dakar. Ce faux pas rappelle les critiques adressées à Macron et à d’autres dirigeants français, accusés de vouloir imposer des valeurs supposées « universelles » à l’Afrique.
Alors que de nombreux pays africains connaissent des bouleversements politiques, de nombreux dirigeants réclament une relation moins paternaliste avec la France, revendiquant une plus grande autonomie dans la gestion de leurs affaires intérieures. Pour certains, un désengagement de la France offrirait la possibilité de mener des politiques plus en phase avec leurs intérêts nationaux, sans les contraintes imposées par les valeurs européennes en matière de droits de l’homme, de droits des femmes ou de protection des minorités sexuelles.
Ironiquement, Barnier, en dépit de ses positions conservatrices, pourrait être perçu comme un partenaire plus approprié par certains gouvernements africains. Barnier semble en effet privilégier une approche pragmatique, centrée sur la coopération face aux défis communs tels que la migration ou l’énergie, là où la gauche défend des positions idéologiques et des principes plus contrastés. Le choix de son ministre des Affaires étrangères sera révélateur de l’orientation prise par la politique africaine française, indiquant vite si il opte pour une approche plus pragmatique, à l’image des rivaux géopolitiques de la France comme la Chine, ou s’il persiste dans les mêmes écarts que Macron ou Mélenchon.