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Les élections présidentielles de mars ont marqué un tournant pour la démocratie sénégalaise, avec la victoire sans précédent de Bassirou Diomaye Faye au premier tour, grâce au soutien du politicien incendiaire Ousmane Sonko. Bien que les deux hommes aient forgé une coalition gagnante, les actions du gouvernement ont suscité des préoccupations quant à la représentation des femmes et à la sensibilité au genre.
Un cabinet polarisant
Lors de son investiture en tant que président le 2 avril, Bassirou Diomaye Faye est devenu le plus jeune chef d’État en Afrique, à seulement 44 ans. Il a ensuite nommé Sonko comme Premier ministre, ce dernier dévoilant un gouvernement le 5 avril. Ce cabinet, notable pour sa jeunesse, se distingue également par son manque de femmes. Le gouvernement ne compte que quatre femmes sur 34 postes, dont 25 ministres, cinq secrétaires d’État et quatre membres du cabinet présidentiel. Cela représente 13 % de représentation féminine, contre 18 % sous l’administration précédente. Les quatre femmes du cabinet sont :
- Yassine Fall, ministre de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères
- Maïmouna Dieye, ministre de la Famille et de la Solidarité
- Khady Diène Gaye, ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture
- Fatou Diouf, ministre de la Pêche et des Infrastructures maritimes et portuaires
Le manque de femmes dans le cabinet a surpris les citoyens, la société civile locale et les observateurs internationaux, car le Sénégal a historiquement soutenu l’égalité des sexes. Dès 2004, le gouvernement du président Abdoulaye Wade a proposé la Déclaration solennelle pour l’égalité des sexes en Afrique, adoptée par l’Union africaine (UA). Cela a été suivi par une loi de 2010 exigeant la « parité absolue » dans toutes les institutions électives. Le prédécesseur de Faye, Macky Sall, a travaillé à l’intégration du genre et à l’autonomisation des femmes, servant de champion HeForShe et accueillant une conférence de l’UA sur la masculinité positive à Dakar. Ces mesures ont permis au Sénégal d’assurer 47 % de représentation féminine à l’Assemblée nationale, plaçant le pays au 4e rang en Afrique et au 13e rang mondial en termes de parité de genre dans la législature.
Il y a eu un mouvement d’opposition publique au cabinet dominé par les hommes. Le Collectif des Citoyens pour le Respect et la Préservation des Droits des Femmes au Sénégal a exprimé ses préoccupations quant au déséquilibre de genre. Plus de 1 200 organisations et citoyens ont sensibilisé sur l’importance de la représentation féminine dans les rôles décisionnels, pour assurer des perspectives diversifiées nécessaires à une gouvernance inclusive et démocratique. Le Collectif des Citoyens et diverses organisations féministes ont appelé à des mesures correctives, y compris la nomination de plus de femmes à des rôles nationaux et administratifs et le renforcement des unités de genre à travers les ministères pour assurer la mise en œuvre complète de la Stratégie nationale pour l’équité et l’égalité de genre (SNEEG).
Rôle révisé
Le remplacement du Ministère des Femmes, de la Famille et de la Protection de l’Enfance par le Ministère de la Famille et des Solidarités est susceptible de diluer l’attention portée aux questions féminines en raison de l’éventail plus large de tâches sous sa responsabilité, y compris la planification familiale et la santé reproductive. Le décret 2024-957 définit les responsabilités du ministre de la Famille et de la Solidarité, intégrant divers rôles liés aux affaires familiales et au développement communautaire, ainsi que certaines mesures générales adressées aux femmes. Cela indique que les ressources financières seront probablement réparties de manière trop large, conduisant à un soutien inadéquat aux programmes pour les femmes.
De plus, le décret manque de mesures concrètes, ce qui laisse présager une mise en œuvre faible et une responsabilité limitée. Par exemple, le ministère devrait assumer la responsabilité de la SNEEG, qui court jusqu’en 2026 ; cependant, la loi ne traite pas de la stratégie. Cela soulève des questions sur la capacité du ministère à promouvoir un environnement institutionnel, socioculturel, juridique et économique qui soutient les femmes. Cela pourrait dépasser le mandat de la ministre de la Famille et des Solidarités, Maïmouna Dieye, qui avait un passé dans la société civile avant d’entrer en politique en tant que maire du quartier de Patte d’Oie à Dakar.
Éloignement des normes occidentales
En fin de compte, le nouveau gouvernement semble vouloir se distancier des normes occidentales en matière de genre et de droits des femmes. Le Premier ministre Sonko a mis en garde contre l’activisme occidental en faveur des minorités sexuelles et la promotion des initiatives liées au genre, affirmant que cela pourrait provoquer des tensions avec les partenaires financiers internationaux. Le 16 mai, lors d’un discours à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD), Sonko a soutenu que les tentatives d’imposer des modes de vie et des idéologies occidentaux à d’autres pays pouvaient être considérées comme une imposition culturelle, affirmant que ces efforts externes entraient en conflit avec les valeurs et traditions locales, conduisant à une résistance et à des conflits importants.
Sonko a mis en garde les donateurs contre l’exigence de l’intégration du genre comme condition de partenariat financier. Ses commentaires suggèrent que les donateurs cherchant à intégrer les droits de genre dans les programmes internationaux seront perçus comme coercitifs et irrespectueux des normes culturelles sénégalaises. De même, Sonko a affirmé que le plaidoyer occidental en faveur des minorités sexuelles pouvait favoriser un sentiment anti-occidental.
Derrière le rideau
Cependant, jusqu’à présent, le gouvernement a montré une approche relativement pragmatique dans ses relations avec les partenaires internationaux, plutôt que de chercher à bouleverser les relations. En effet, contrairement à la rhétorique de Sonko et au manque de représentation féminine, les femmes assument des rôles clés dans la présidence. Le 12 mai, Fatou Kiné Diakhaté a été nommée chef adjointe de cabinet du président Faye, marquant une étape importante car elle est devenue seulement la deuxième femme à occuper ce poste.
Diakhaté est un membre actif du parti PASTEF, fondé par Sonko, mais dissous par le président de l’époque Sall en juillet 2023, avant d’être rétabli après la victoire présidentielle de Faye en mars 2024. Diakhaté a précédemment servi en tant que secrétaire exécutive puis coordinatrice du Mouvement national des cadres patriotiques dans la diaspora. Elle est également membre du bureau politique du PASTEF en tant que secrétaire nationale adjointe chargée de la diaspora. Comme d’autres personnalités clés de la nouvelle administration, Diakhaté a effectué ses études à l’étranger et a ensuite travaillé dans plusieurs banques françaises et à l’agence de développement AFD.
Lors de la réunion du conseil des ministres du 22 mai, le président Faye a proposé de développer un cadre pour une loi axée sur l’autonomisation économique durable des femmes, suggérant une tentative tardive de répondre aux préoccupations. Cette initiative devrait être développée en collaboration avec toutes les organisations de femmes au Sénégal, dans le but de garantir une plus grande adhésion du public. Faye a souligné l’importance centrale des femmes et de leur rôle dans le renforcement des familles au Sénégal, mettant en lumière leur rôle crucial dans les projets de développement économique, social et culturel du parti au pouvoir. Il a également demandé un audit des mécanismes et instruments de promotion du statut économique et social des femmes et des mises à jour des plans et stratégies pour améliorer leur autonomie.
Les signaux mixtes de l’administration – réduisant initialement la représentation féminine, mais proposant ensuite des mesures de soutien – reflètent une position complexe sur les questions de genre. Cette double approche peut être influencée par la nécessité de concilier les normes culturelles locales avec les attentes internationales. En fin de compte, les actions récentes de Faye suggèrent une stratégie évolutive qui vise à réconcilier ces pressions contradictoires.