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Le futur du soft power français en Afrique

Pendant plus d’un siècle, d’abord à travers la domination coloniale puis grâce à son réseau politique et économique, la France a considéré une grande partie de l’Afrique comme son pré carré géopolitique. Les dirigeants africains étaient installés et destitués depuis Paris, par les services de renseignement ou des interventions militaires. En parallèle, les entreprises françaises ont controlé un large pan des économies africaines, les dédiant à l’extraction et au transport des ressources naturelles au profit des industries occidentales.

Ce système, baptisé la “Françafrique” et reposant sur une combinaison de réseaux politiques, économiques et militaires, est aujourd’hui activement contesté en Afrique. Les griefs justifiés des populations associés à des ressentiments de longue date envers les anciens colonisateurs ont été amplifiés par les médias et exploités par certains dirigeants africains pour saper l’influence de la France et légitimer leur propre gouvernance.

Liens culturels profonds

La relation entre la France et le continent africain va cependant au-delà de la Françafrique. La langue française demeure une force unificatrice pour des nations multiculturelles faute de langue commune et sa maîtrise a contribué à la production d’une littérature panafricaine florissante. Les juristes africains ont également tiré parti de leur héritage juridique et administratif français à travers le développement d’initiatives régionales telle que l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA), permettant la rationalisation des démarches et facilitant les investissements. Enfin, l’immigration africaine, la présence de 200 000 citoyens français sur le continent et l’attrait des universités françaises pour les étudiants africains, ont tissé des liens humains forts moteurs de la coopération internationale.

Malgré ces liens, la France voit son soft power, c’est à dire la capacité d’un état à étendre son influence au-delà de ses frontières par sa culture, son prestige et des valeurs partagées, de plus en plus contesté suite aux récents revers sur le front sécuritaire et diplomatique. 

Revers militaires et diplomatiques

La protection des intérêts économiques et géopolitiques de la France, ainsi que de ses ressortissants, a initialement motivé les interventions militaires sur le continent, au Tchad depuis son indépendance, au Rwanda en 1994 ou encore en Côte d’Ivoire en 2002 et 2011. Un paradigme différent a guidé l’intervention de la France au Mali en 2012, répondant à l’appel d’une nation souveraine pour lutter contre le terrorisme. Mais ce récit n’a pas convaincu les opinions publiques africaines, y décelant des motifs insidieux à mesure que les troupes françaises s’embourbaient au Sahel.

L’opération Barkhane, visant à contrer l’expansion des groupes terroristes au Burkina Faso, au Tchad, au Mali, en Mauritanie et au Niger, a été perçue comme une nouvelle expédition post-coloniale visant à protéger des intérêts économiques réels ou fantasmés. Les doutes quant aux motivations de la France ont été exploités par des campagnes de désinformation russes, attisant la méfiance des populations. Ces dynamiques se sont révélées un terrain fertile pour les coups d’État qui se sont succédés à travers le Sahel depuis 2020, aboutissant finalement à l’expulsion des troupes françaises du Mali, du Burkina Faso et désormais du Niger.

La France subit également une dégradation de ses relations diplomatiques à travers tout le continent africain. Le Rwanda de Paul Kagamé lui reproche sa coopération avec l’ancien régime extrémiste Hutu et les relations entre les deux pays restent marquées par génocide de 1994. De même, la traditionnelle alliance avec le Maroc a laissé place à une confrontation ouverte en raison du refus de la France de reconnaître comme les États-Unis et d’autres nations européenes le contrôle du Sahara occidental. Dans l’Océan Indien, c’est la souveraineté territoriale de la France qui est contestée. Madagascar, poussée par les marques de soutien de la Russie, met en avant sa propriété historique sur les Îles Éparses inhabitées. L’Union des Comores revendique quant à elle le département français de Mayotte, misant sur le mandat de son président Assoumani à la tête de l’Union africaine et de l’aggravation d’une crise migratoire envenimant la situation.

Le déclin de l’influence française

Les revers sécuritaire et diplomatique affectent directement le soft power français, essentiel si Paris souhaite conserver son influence internationale face à la concurrence de rivaux plus puissants sur le plan militaire et économique. Suite à la suspension par le Quai d’Orsay de l’aide au développement à destination des juntes saheliennes, les coopérations culturelles et académiques ont subis les dommages collatéraux de cet affrontement. Le gouvernement a ordonné le gel des projets impliquant des artistes du Mali, du Niger et du Burkina Faso, ainsi que l’arrêt de la délivrance de visas étudiants, suscitant une forte indignation tant en France que sur le continent.

Certains États africains se sentant délaissés par la France ont décidé de se détourner également de son héritage culturel. En juillet 2023, le Mali a ainsi adopté une nouvelle constitution abandonnant le français comme langue officielle. Le Rwanda a déjà remplacé le français par l’anglais dans les écoles et les universités, tandis que le Togo et le Gabon ont rejoint le Commonwealth en 2022.

Ce déclin tant en terme de hard power que de soft power aura inévitablement un impact sur la présence économique de la France sur le continent. L’affinité culturelle développée par les élites africaines ayant étudié dans des universités françaises a traditionnellement été un moteur clé du commerce international de la France. La diminution de ces opportunités finira inévitablement par refroidir les liens commerciaux.

La politique économique de la France en danger

Les entreprises françaises héritières des réseaux post-coloniaux sont toujours présentes dans les secteurs de l’agroalimentaire, de la logistique ou des télécommunications, mais leur association avec la Françafrique en fait des cibles privilégiées de la contestation anti-française. Des commerces français à Dakar, notamment des supermarchés Auchan, ont été incendiées par les partisans du sulfureux Ousmane Sonko, un critique virulent de l’affinité du président sénégalais Macky Sall avec les entreprises françaises.

Certaines entreprises ont préféré diversifier leur présence pour atténuer le risque que les sentiments anti-français impactent leurs revenus. TotalEnergies a ainsi réussi à rester un acteur majeur dans le secteur de l’énergie présent sur 40 marchés à travers le continent, y compris dans les pays anglophones et lusophones où le sentiment anti-français est moins marqué. En revanche, les entreprises minières françaises ont subi les conséquences des politiques de désindustrialisation et de la volonté des dirigeants africains de développer des partenariats avec d’autres pays, sapant l’avance historique dans l’exploration minière du continent acquise par l’agence géologique BRGM.

Le champion national de la bauxite et de l’aluminium, Pechinet, a été acquis en 2003 par Alcan, ses actifs miniers appartenant désormais à Rio Tinto, laissant ERAMET comme la dernière grande entreprise minière française sur le continent. Les actifs d’Orano dans l’uranium du Niger, bien que moins cruciaux pour l’autonomie nucléaire de la France qu’auparavant, sont également menacés par la détérioration des relations avec la junte au pouvoir.

Si la France ne parvient pas à enrayer la perte de son soft power et à redéfinir ses politiques politiques et de sécurité en Afrique, elle risque de perdre bien plus que son influence sur le continent. En janvier 2022, un rapport du gouvernement français sur la planification industrielle a averti que, à mesure que les industries se décarbonisent, le contrôle des chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques sera essentiel pour maintenir la souveraineté énergétique et économique, un secteur où la France a accusé beaucoup de retard sur d’autres puissances occidentales et asiatiques opérant en Afrique.

A propos de l’auteur

Alix Bouheddi est consultant associé chez Africa Practice, avec un intérêt particulier pour les questions énergétiques, minières et géopolitiques. Alix peut être contacté à l’adresse suivante: [email protected]

 

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