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Le Niger refuse de se laisser intimider par les menaces de la CEDEAO. Quelle suite possible ?
Le 26 juillet, le président nigérien Mohamed Bazoum a été renversé par la garde présidentielle. Le coup d’État semble avoir été déclenché par le projet de Bazoum de démettre le chef du coup d’État, le général Abdourahamane Tchiani, de son poste de commandant de la garde. Ce qui a pu commencer comme une vendetta personnelle a toutefois été compliqué par la géopolitique.
Le Niger occupe une position stratégique, en tant que dernière démocratie de la région du Sahel, et il est un pivot pour l’intervention militaire occidentale contre les insurrections islamistes. L’importance cruciale du Niger pour la sécurité régionale a entraîné les putschistes dans un bras de fer avec la communauté internationale. La communauté économique régionale de la CEDEAO a émis un ultimatum de sept jours le 30 juillet, menaçant d’une action militaire si la junte ne cédait pas et ne réinstallait pas le président Bazoum.
Les putschistes ont cependant fait fi du bluff de la CEDEAO, tout en creusant un fossé dans le bloc régional en consolidant leur coopération avec les juntes militaires du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée. Le général Tchiani s’est par la suite résolu à renforcer sa position et à fermer l’espace aérien du Niger aux vols tout en mettant en scène le soutien de la population à la junte. Pour comprendre la suite des événements, il convient de s’interroger sur les raisons de la fermeté du Niger face à la pression internationale.
Pourquoi le Niger a-t-il refusé de se laisser intimider par les menaces de la CEDEAO ?
La réponse des putschistes peut être comprise comme étant composée de trois facteurs interconnectés :
Premièrement, il y a une évaluation de la manière dont la CEDEAO a agi par le passé. Le Niger est le dernier pays du Sahel a succomber à un régime militaire après une série de coups d’État qui ont vu le Burkina Faso, le Mali et la Guinée installer des juntes militaires ces trois dernières années. Dans chacun de ces cas, la CEDEAO a adopté une position souple, semblant soit incapable, soit réticente à une intervention militaire, optant plutôt pour des sanctions économiques et un engagement diplomatique.
Les Nigériens auront également pris en compte les changements intervenus au sommet de l’organisation régionale. Le président nouvellement élu de la CEDEAO, le président nigérian Bola Tinubu, a profité de son discours d’investiture pour adopter une approche de tolérance zéro à l’égard des coups d’État qui ont frappé la région. Cependant, Tinubu et son parti, le All Progressives Congress, sont tenus de prendre en compte leurs propres impératifs politiques nationaux. Les chefs traditionnels du nord du Nigeria se sont opposés à une intervention, mettant en garde contre les conséquences désastreuses pour une région qui entretient des liens culturels, économiques et familiaux étroits avec le Niger. De plus, le 6 août, le Sénat nigérian – qui doit approuver le déploiement des forces armées à l’extérieur du pays – a rejeté la perspective d’une intervention militaire.
Deuxièmement, il est possible que les connaissances du général Tchiani aient permis à la junte de cerner les obstacles structurels a une possible action militaire, permettant ainsi au régime de comprendre le caractère creux de la menace de la CEDEAO. Tchiani a été formé au Sénégal et a servi comme commandant de bataillon pour les forces de maintien de la paix de la CEDEAO en Côte d’Ivoire, acquérant ainsi une expérience de la coopération multilatérale en matière de sécurité. Sa familiarité avec les interventions militaires de la CEDEAO signifie qu’il est bien conscient de leurs faiblesses historiques. La CEDEAO a précédemment déployé des troupes dans des États côtiers densément peuplés, mais n’a jamais tenté d’intervenir dans le Sahel faiblement peuplé. De même, il aura gardé une connaissance intime de l’approche de la CEDEAO lors du coup d’État de 2010 au Niger, ayant été nommé à la garde présidentielle du gouvernement démocratiquement élu à l’issue de la transition militaire.
Troisièmement, le soutien des États voisins, le Burkina Faso et le Mali, ainsi que la confiance en leurs propres capacités militaires. Cela pourrait pousser les putschistes à estimer qu’ils sont mieux préparés à endurer un conflit avec les forces de la CEDEAO que des démocraties plus stables ailleurs dans la région. La junte pourrait chercher à exploiter cette détermination de manière stratégique, en cherchant à établir un scénario “sans issue”. Dans cette situation, toutes les parties engagées dans une confrontation militaire pourraient à la fois contribuer à – et souffrir de – la détérioration du paysage sécuritaire régional, du fait que les troupes soient contraintes de défendre leurs vastes frontières, laissant aux groupes d’insurgés une plus grande liberté d’action.
La CEDEAO reconsidère sa position
À l’expiration de l’ultimatum, les chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO ont annoncé la convocation d’un sommet extraordinaire sur la situation politique au Niger, qui devrait se tenir à Abuja demain (le 10 août). Lors de ce sommet, la CEDEAO devrait envisager deux options : la viabilité d’une intervention militaire et une voie diplomatique alternative, soutenue par des sanctions économiques.
Bien que le Sénégal et la Côte d’Ivoire aient promis d’envoyer des troupes dans le cadre d’une mission potentielle et que le président Tinubu semble déterminé à contrer l’opposition nationale et à obtenir un déploiement nigérian, l’intervention militaire comporte toujours des risques pour le bloc regional. Une telle intervention risque d’aggraver la situation sécuritaire fragile de la région, tout en exacerbant les lignes de fracture politiques et culturelles au sein du bloc régional, creusant un fossé entre les États littoraux et les États enclavés. Tous les pays voisins enclavés du Niger rejetant une solution militaire, et le Bénin hésitant apparemment en raison d’une opposition domestique, il est peu probable que Tinubu parvienne à s’assurer d’un consensus regional. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une exigence formelle, des voix discordantes saperaient la légitimité de la mission et la capacité de la CEDEAO à mobiliser des troupes et des financements de la part des partenaires internationaux en matière de sécurité.
Un échec dans la mise en œuvre de son ultimatum affaiblira le bloc, augmentant la probabilité que la CEDEAO se tourne vers les putschistes nigériens pour obtenir des concessions cosmétiques, telles que la libération du président déchu Bazoum. La CEDEAO pourrait choisir de travailler en coulisses avec ses partenaires internationaux, les États-Unis et la France, dans l’espoir d’exercer un certain contrôle sur le Niger. Cela pourrait prendre la forme d’une menace de sanctions économiques sévères et d’interdictions de voyager, associée à la carotte d’une assistance financière pour une transition vers un régime civil approuvée par la CEDEAO. Toutefois, il est peu probable qu’un plan se matérialise assez rapidement pour que le bloc puisse sauver les apparences à Abuja demain.
Le Niger continue d’avancer
Quant à la junte, elle pourrait être disposée à faire quelques concessions, à condition de conserver certains de ses acquis. La première priorité est de s’assurer que le président Bazoum ne soit pas réinstallé. Cela devrait être réalisable étant donné que le premier sondage mené depuis le coup d’État a révélé que 78 % des personnes interrogées soutenaient les actions de la junte nigérienne, 73 % d’entre elles étant favorables à ce qu’elle reste au pouvoir pendant une “période prolongée”.
Fort de son expérience du coup d’État de Salou Djibo en 2010, Tchiani pourrait négocier une transition civilo-militaire qui permettrait à son régime de se maintenir au pouvoir dans l’intérim et de conserver l’approbation de la population. Le 2 août, Tchiani a annoncé qu’il avait l’intention de mettre en place les conditions d’une transition menant à des élections dans un “délai relativement court et raisonnable”. Il a ensuite consolidé cette position en nommant l’ancien ministre des finances (2003-2010), Ali Mahamanze Lamine Zeine, au poste de Premier ministre, ce qui laisse présager à l’imminence de la formation d’un nouveau gouvernement.
Un deuxième point de négociation important pour la junte est probablement le retrait des troupes françaises du Niger, étant donné l’animosité des dirigeants de la junte à l’égard de l’ancienne puissance coloniale. Il est probable qu’il en résultera un pivot vers une plus grande collaboration avec des partenaires tels que la Chine, les Émirats arabes unis (EAU) et l’Arabie saoudite. Le Niger deviendra également de plus en plus dépendant de l’axe des juntes en Afrique de l’Ouest, des pays comme la Guinée devenant cruciaux pour les importations, comme c’est devenu le cas pour le Mali et le Burkina Faso à la lumière des embargos de la CEDEAO. Le Niger conservera également l’accès aux routes commerciales transsahariennes via l’Algérie, qui s’est fermement opposée à tout recours à la force, et le Tchad, qui a déclaré qu’il ne participerait pas aux aventures militaires de la CEDEAO. Ces routes sont étroitement associées à des activités illicites, notamment le trafic de drogue et d’êtres humains, qui peuvent générer les capitaux nécessaires au maintien du pouvoir de la junte.
Enfin, comme cela a été observé ailleurs dans la région, l’exode des forces occidentales pourrait bien saper les efforts de lutte contre l’insurrection, obligeant la junte nigérienne à envisager d’autres partenaires en matière de sécurité, notamment des mercenaires russes du groupe controversé Wagner. Bien qu’il soit peu probable que cette solution soit couronnée de succès sur le plan militaire, elle s’alignerait sur le sentiment populaire, selon le même sondage d’opinion, qui a révélé que plus de 60 % des Nigériens interrogés faisaient confiance à la Russie.
À propos de l’auteur
Lami Mabifa est consultant associé à Africa Practice et travaille avec des clients sur l’ensemble du continent Africain. Il y réalise de nombreux travaux de recherche, d’analyse et de réflexion, et soutient l’engagement de parties prenantes. Il peut être contacté à l’adresse suivante: [email protected]